Une belle journée se levait sur le château. François dormait encore profondément lorsqu'un un rayon de soleil vint lui chatouiller le nez: Marthe venait d'entrer dans sa chambre et avait entrouvert l'épais rideau de velours, juste pour que l'astre vienne éveiller l'enfant. Elle sortit et le petit bonhomme ouvrit les yeux tout doucement après avoir reposé sa tête sous l'oreiller. Pourquoi devait-il se lever si tôt? Il n'y avait rien de particulier à faire aujourd'hui! Et puis, un enfant doit dormir! Enfin, si la bonne l'avait réveillé, il devait y avoir une bonne raison...
Après s'être mainte et mainte fois étiré, François sortit des draps chaud et enfila ses chaussures. Il se dirigea à pas de loups vers la fenêtre, ouvrit les rideaux entièrement et profita de la beauté du jardin qui s'offrait à lui. La gelée avait transformé la paysage en un grand tapis blanc et l'idée de glisser sur l'herbe gelée s'était emparée de l'enfant: il allait bien s'amuser aujourd'hui! Nous étions le 5 janvier, le petit Duc n'avait pas encore 12 ans.
Il enfila ses vêtements chauds d'hiver et descendit dans la salle à manger. Marthe était seule, chose inhabituelle car sa maman était toujours présente pour l'embrasser. Son bol l'attendait et à peine eut-il le temps de parler, de saluer la femme ou autre, que déjà cette dernière remplit le récipient d'un breuvage fumant et ayant pour but de donner pleins de force au petit qui n'en manquait pas le moins du monde. Au moment où François ouvrit la bouche, Marthe y enfourna une épaisse tranche de pain.
" On ne parle pas la bouche pleine cher Monsieur! "
La femme aux cheveux légèrement grisonnant adorait taquiner son petit maître. Elle lui lança un clin d'oeil qui eut pour seul effet d'élargir le sourire du petit brun. Terminant sa tartine et son bol en silence, le jeune Duc questionna Marthe.
" Pourquoi maman n'est pas là? Elle est là normalement? Et pourquoi elle m'a pas fait de bisou hier soir, avant que je dorme? "
Sa voix d'enfant était des plus sérieuse. Quelque chose de bizarre se tramait sous les faits qui ne changeaient jamais jusqu'à maintenant.
" Déjà François, ta maman t'a apprit à parler comme il faut. Certes elle me permet de te tutoyer, mais n'oublie pas les règles de grammaire que tu apprends presque chaque jour! Ainsi, on ne dit pas 'elle m'a pas' mais 'elle ne m'a pas'. "
La servante finirait par lui dire la stricte vérité mais elle ne voulait pas faire peur à l'enfant.
" Tu ne m'as pas répondu Marthe! " avait-il rétorqué en insistant qur la faute qu'il venait de ne pas commettre.
" Ta maman est couchée, dans sa chambre; car à cause du froid, elle a attrapé du mal. C'est pourquoi elle ne t'as pas embrassé hier soir: elle ne voulait pas que toi aussi tu sois malade! "
François avait déjà vu sa mère palotte et malade, mais jamais cela ne l'avait cloué au lit. Même si l'on est naïf à cet âge là, le petit brun comprenait que sa maman était plus malade qu'il ne l'imaginait.
" Tu ne me dis pas tout Marthe! Je le sais et je le vois bien dans tes yeux! Ta voix aussi te trahit! "
Le regard malicieux et le sourire qui allait avec en disait long. François sortit de la pièce chaude et rejoignit le chevet de sa mère par les couloirs où la température était assez froide. Il frappa puis entra, la parquet ne craquant même pas sous ses pas. Il s'installa doucement sur le lit de sa mère et se blottit contre elle. Elle dormait. Les minutes passèrent et le petit Beaufort dévorait des yeux sa maman. Il caressait ses cheveux lorsqu'elle se réveilla.
" Que fais-tu là mon petit amour? "
" Je viens prendre soin de toi! " répondit-il directement en la regardant, fier de son statut de seul homme de la maison actuellement.
Lui passant la main dans les cheveux encore courts, un léger et joli sourire apparut sur les lèvres de la jeune femme.
" Ah oui?! Et comment comptes-tu t'y prendre? "
Sa voix transmettait sa faiblesse, ainsi que son regard. Elle toussa, se tournant à l'opposé de son fils pour l'épargner des microbes.
" Eh bien, je vais rester là toute la journée, comme ça, tu n'auras pas froid! Et puis, avec tout mon amour, tu vas guérir aussi vite que quand Olympe court! "
Pleins de franchise, les mots résonnait dans la tête de la jeune femme. Elle posa l'index sur le bout de son nez.
" Je suis certaine qu'avec tous tes soins, je serais sur pieds dans moins d'une heure! Et on ne dit pas courir pour un cheval, mais galoper! "
François n'eut pas le temps de répondre; quelqu'un frappa et le médecin de la famille entra dans la pièce. Il salua ses occupants puis s'approcha du lit. Il commença à ouvrir la petite malette qui contenait tous ses outils de docteur.
" Allez mon petit bout, va jouer dehors. Peut-être qu'Olympe a envie de galoper un peu tu ne crois pas? "
Son plus joli sourire aida l'enfant à quitter sa maman, la laissant quand même en de bonnes mains. Il ferma la porte derrière lui, et même sa curiosité d'enfant ne l'incita pas à écouter aux portes. Il quitta la demeure après s'être couvert et rejoignit l'écurie où sa monture vivait. Il le sella, de ses bras encore un peu faibles et lui parla comme il adorait le faire. C'était peut-être son meilleur ami depuis que son chien était enterré sous le grand chêne du jardin. Il monta Olympe et les deux compères partirent faire un tour qui dura toute la matinée. François avait eut la curiosité d'aller à Paris et sa maman lui aurait de toute manière certainement donné l'autorisation... De toute manière, le médecin prenait soin d'elle alors, elle ne pourrait pas vérifier! Durant son périple, le petit Duc rencontra des enfants dont une petite fille brune. Il l'avait défié et tout s'était bien passé. Enfin, les enfants qu'il avait rencontré ne lui ressemblait pas: ils étaient souvent un peu sâles, maigres aussi, et très peu habillés pour le temps qu'il faisait... Ils ne parlaient pas bien aussi! Beaucoup de remarques qu'il raconterait bientôt à sa mère.
En rentrant, il déjeuna, seul à la table, le repas que Marthe avait préparé. Puis il se précipita voir sa maman. Il sauta, doucement quand même, près de celle-ci et commença alors à lui raconter sa matinée, le fait que les enfants soient différents de lui, et tout ce qu'il avait remarqué. La petite fille aux longs cheveux noirs fut décrite parfaitement. Même si la jeune femme était faible, elle écouta attentivement son fils, le regardant pour ne pas manquer le moindre détail. Il était beau, magnifique même. C'était son bébé, et personne ne changerait cela, jamais. Elle savait que François deviendrait un homme bien.
" Ces enfants ne sont pas différents de toi, ils ont juste eut moins de chance et, privés d'argent, ils reçoivent tous ce que leurs parents peuvent leur donner. C'est ainsi qu'ils ne mangent pas toujours à leur faim et que les couvertures et manteaux sont des choses rares pour eux. Rappelle toi toujours que ces gens souffrent, et le plus remarquable en eux, c'est qu'ils sont heureux, qu'ils sont unis, et c'est ce qui fait leur force. Un jour, ce monde changera, ils se révolteront et gagneront le pain qu'ils n'ont pas toujours eut. La petite fille, telle que tu me l'as décrite, tentera quelque chose je pense... "
Ses mots étaient emplis de sagesse et François les garda bien en mémoire. Il n'oublierait jamais cet instant. Mais, déjà il pensait les aider... Des tas de petits plans naissaient dans sa tête, certains plus farfelus que d'autres.
" Je te promets maman, que quand je serais grand comme papa, je les aiderai à s'en sortir. "
Un large sourire découvrit de belles dents blanches. Il serra sa maman dans ses bras. Cette dernière ferma les yeux et les deux s'endormirent quelques heures. Marthe frappa et entra dans la chambre. La jeune femme malade était réveillait et contemplait son fils, caressant ses cheveux bruns.
" Il a comprit n'est-ce pas? "
" Je ne sais pas s'il a tout comprit mais, il doit se douter que quelque chose d'anormal se déroule. Il est malin... "
Un léger sourire s'imissa sur les lèvres pâles de Mme de Vendôme. Son visage était blanc, elle n'allait pas bien.
" Malin comme son père, sage comme vous. Je suis sûre qu'il vous rendra fière. "
" J'en suis certaine également. Ce petit homme est ma fierté et je vous le confie. Je sais que vous en prendrez soin; j'ai entièrement confiance en vous Marthe, et je vous remercie d'être toujours là. "
La vieille femme s'approcha du grand lit, caressa le visage de sa maîtresse tendrement.
" Ne me remerciez pas. C'est un honneur pour moi que de pouvoir vous servir, et François sera élevé comme vous l'avez commencé. Je prendrais soin de lui comme si c'était mon enfant. "
Les yeux clairs du petit Duc s'entrouvirent avant de regarder totalement sa maman.
" Tu ne dors plus?! Mais tu dois te reposer, je te l'ai dit! "
" Oui, elle doit se reposer! C'est pourquoi nous allons descendre souper. "
François embrassa sa mère et suivit Marthe. La jeune femme le regarda partir et commença à écrire une longue lettre. Quelques larmes coulèrent sur ses joues blanches et elle jeta un dernier regard à travers les fenêtres avant de ranger le bout de parchemin dans sa table de chevet.
Dans la cuisine, l'enfant mangeait comme d'habitude, avec appétit. La femme aux cheveux blancs le regardait faire, se doutant que les prochains jours seraient terribles pour eux, et surtout pour lui...
" A quoi tu penses? "
" A tes prochains cours de grammaire qui ne seront pas du luxe! Crois-tu qu'avec de telles phrases tu seras digne de parler à tes cousins plus tard? "
Le petit Beaufort sourit largement, ses yeux clairs pétillants de malice.
" On est qu'entre nous: je peux parler comme je veux! Je t'assure que dans Paris, tout à l'heure, je parlais comme on parle au Louvre! "
" Et tu as dû passer pour un idiot non? "
" Oui! Totalement! Ils ne savent pas bien parler là-bas! "
Marthe rigola. Elle aussi avait connu les rues de Paris avant de devenir gouvernante. C'était d'ailleurs de bons souvenirs. Elle s'approcha du petit homme et passa la main dans ses cheveux.
" Ils n'ont pas ta chance, c'est tout! "
Sur ces mots, François se leva et courrut retrouver sa mère. Ils passèrent la soirée ensemble et, avant que Marthe ne vienne pour faire coucher le fils de la maison, la jeune femme parla sérieusement à son fils.
" Crois-tu pouvoir me promettre quelque chose et tenir cette promesse? "
La tête brune acquiessa simplement, ne lâchant pas des yeux le visage pâle qui lui faisait face.
" Rapelle toi toujours de ce que tu es, du chemin que tu as parcourut pour devenir ainsi. Promets-moi de toujours être en accord avec ton coeur, d'être poli avec tous, de ne pas être méchant avec ceux qui ne le méritent pas, d'être toujours juste et surtout, garde-moi en toi d'accord? "
Elle espérait n'avoir rien oublié. De toute manière, la lettre serait explicite et contenait tous les points qu'elle avait pu omettre ce soir. François leva la main.
"Je te le promets devant Dieu, maman! "
Il embrassa sa mère tendrement et quitta la pièce. La jeune femme le regarda partir, la gorge nouée et les larmes aux yeux. Elle attendrait Marthe. La toux la rapella à l'ordre...
Dans sa chambre, la petit Duc fut bordé par la gouvernante. Il l'aimait cette dame, même beaucoup! Ils rigolaient souvent en y réfléchissant! Enfin, les bougies éteintes et la porte fermée, les paupières de l'enfant ne furent pas longues à se fermer. Cette nuit, aucun rêve ne lui ferait visiter d'autres lieux, pas même un soupçon d'horizon différent. Cette nuit, la pire chose qu'il aurait pu imaginer se produisit.
Mme de Vendôme avait tout confié à Marthe; ses moindres hésitations, ses moindres peurs, ses moindres regrets. La vieille dame aux cheveux d'argent savait à présent tout et, ayant reçu la bénédiction de l'homme d'église le plus proche, la jeune femme s'endormit pour l'éternité. Sa dernière pensée alla directement à François, son fils, son ange, sa fierté. Elle expira alors avec un simple mais joli sourire.
Au réveil, le Duc avait un pressentiment. Il se réveilla seul et, en regardant derrière les rideaux, savait qu'il était très tôt, trop tôt pour qu'un tel réveil ait lieu. Sans même réfléchir, sans prendre soin de se couvrir et d’enfiler des chaussures pour protéger son petit corps du froid poignant des couloirs, François s’élança dans le château, en direction de la chambre où il avait laissé sa mère la veille. Marthe guettait l’entrée mais ne dit rien ; l’enfant comprit à son simple regard.
" Nooooooooooooooon! "
Il se jeta sur le lit de sa mère et pleura, quelques instants seulement. Il la regarda et lui caressa la joue ; il devait se montrer fort. Elle ne voulait pas qu’il soit faible et il ne le serait pas, pas devant les gens en tout cas. Il releva la tête avant de se reblottir, la simple gorge nouée, auprès de la jeune femme.
" Je t’aime maman, et je n’oublie pas mes promesses. "