Lina reculait, tête baissée, et Nicolas, certainement pour accentuer sa puissance avançait vers elle, adoptant son allure lente et incertaine en essayant de capter son regard. Le regard était en fait quelque chose d'extrêmement dangereux et il venait de le remarquer quelques minutes auparavant. Celui émeraude du jeune homme était captivant mais non moins que celui de la demoiselle. Il en avait fait les frais, se promettant de faire attention dorénavant. Mais alors il se rendit compte que seule Lina avait eut ce pouvoir de persuasion: c'était donc la plus douée de toutes les femmes qu'il avait jusqu'à alors rencontré! Bref, il chassa de son esprit cette idée afin de se reconcentrer sur le départ imminent.
Les derniers regards lancés par Lina étaient d'un noir intense, tandis que le jeune comte avait adopté une certaine ironie et donc par là une certaine antiphatie. Car oui, qu'est-ce qu'il était antiphatique! Avec le peuple surtout, comprenez bien! Non, la Cour lui trouvait tout ce qu'il y a de plus aimable et de plus attentionné! Il possédait d'ailleurs toutes les qualités pour faire partie des plus importants et des plus renommés courtois. C'était le meilleur des flatteurs, le meilleur des menteurs et le meilleur des inventeurs! Quelle chance que de le connaître!
Elle insista sur la tâche qu'il attendait et le rictus de Nicolas s'aggrandit alors. Il jouissait intérieurement de sa supériorité... Vous comprendrez donc fort bien le paradoxal du comte du Boisnoir! Un coup il "s'attachait" à Lina, le coup d'après il se croyait irrésistiblement supérieur... Enfin, ne cherchez pas à comprendre ce que lui-même ne sait contrôler, ce serait inutile.
C'est donc sans un mot qu'il la regarda quitter la pièce, l'expression de son visage traduisant en effet très bien son ressentiment instantané. Mias, le dernier regard qu'il réussit à transmettre à la jeune femme n'avait rien d'odieux ou de méchant: il était redevenu, pendant quelques dixièmes de secondes seulement celui qui, tantôt, s'était écarté pour prendre du recul face à la situation et à leur jeu plus révélateur qu'il ne l'orait pensé.
Quelques minutes après, Nicolas avait retrouvé sa première nature et retourna donc auprès de ses compagnons, inventant une toute nouvelle histoire sur son retard. Plus tard dans la soirée et pendant le repas, il conta de nouveaux récits, plus farfelus les uns que les autres, mais les courtisanes rigolant à la moindre de ses expressions et de ses tons convaincants. Jamais le prénom de Lina ne se fit entendre...